Prendre en compte le risque alimentaire

Prendre en compte le risque alimentaire

Publié le : 22/02/2023 22 février févr. 02 2023
Source : www.nxtbook.fr
Après un parcours de plus de 20 ans en tant qu'inspecteur dans les services vétérinaires, j’ai rejoint la profession d'avocat, avec une connaissance fine des contraintes liées à la sécurité alimentaire. Rencontre avec maître Nathalie Goutaland, avocate experte dans le droit de la sécurité alimentaire.

Pouvez-vous maintenant nous présenter votre activité ?
Mon cabinet est basé près de Montpellier, mais mon activité s’exerce dans toute la France, avec la particularité de décliner à la fois une casquette juridique précise sur ce domaine peu connu qu’est le droit de la sécurité alimentaire, mais aussi une casquette technique pointue liée à ma formation initiale en technologies de l’alimentation, et à toutes ces années de pratique. Ces deux aspects sont indissociables, je le vérifie dans chaque dossier. J’apprécie également de dispenser les formations obligatoires en sécurité alimentaire auprès de mes clients, grâce au centre de formation AlimSafe qui est annexé à mon cabinet. C’est toujours un moment privilégié et riche d’échanges qui me permet de rester au plus près de leurs contraintes.

Quel est votre rôle précisément et auprès de qui ?
J’exerce en tant qu’avocate en droit de la sécurité alimentaire, auprès des opérateurs de la chaîne alimentaire, que je conseille pour leur mise en conformité, avec le souci constant de leur proposer un système le plus simple et accessible possible, auquel ils pourront réellement adhérer au quotidien. Il est ainsi important de décliner dans ce domaine la notion de flexibilité adaptée, que les textes permettent.
Je les accompagne également dans les démarches auprès des services de l’État, notamment pour l’obtention de l’agrément sanitaire, ou en contentieux lorsque les contrôles sont parfois mal orientés ou mal appréciés. Mon parcours m’a permis de maîtriser les procédures spécifiques de ces services, aussi bien en matière de police administrative (mise en demeure, saisie, injonction, fermeture…) qu’en police judiciaire (suites pénales…).Pour l’instant, le taux de contestation très faible en la matière conduit à un laisser-aller fréquent des inspecteurs et à des failles nombreuses, que nous exploitons aussi bien au niveau des procédures que sur le fonds.
En conseil comme en contentieux, j’interviens dans tous les aspects dans lesquels la conformité aux normes de sécurité alimentaire a un impact, et ils sont nombreux, tels par exemple que la cession de commerce ou le bail commercial, domaines dans lesquels il est souvent pertinent de procéder à un audit.
J’interviens enfin, bien évidemment, dans des affaires d’intoxications alimentaires importantes, dont plusieurs affaires récentes ayant causé un grand nombre de victimes graves.

Dans l’affaire Buitoni, vous êtes l’avocate de l’association SHU-T Sortons du silence, pouvez-vous nous dire ce que vous faites pour l’association ?
Cette association a pour objet la prévention du Syndrome hémolytique et urémique typique (SHUT), qui est l’affection très grave causée par les souches les plus virulentes d’Escherichia coli.
Or, toute affaire d’intoxication alimentaire grave est l’occasion de questionner le cadre légal de la sécurité alimentaire en France. Par exemple, la façon dont sont organisées les enquêtes qui conduisent à une alerte a un impact très important sur le nombre de victimes liées à chacun de ces incidents, en raison du délai nécessaire afin d’identifier l’aliment en cause. Nous devons exiger que les services de contrôle qui conduisent ces enquêtes s’astreignent à la même efficacité que celle qui est requise des autres opérateurs. Pour cette raison, nous demandons l’inscription du SHUT sur la liste des maladies à déclaration obligatoire. En pratique, cela devrait permettre une meilleure coordination des parties épidémiologique (réalisée par l’ARS) et alimentaire (réalisée par les services vétérinaires) des enquêtes, et une identification beaucoup plus rapide de l’aliment à l’origine d’une telle épidémie. Cela devrait permettre également d’identifier la cause de nombreuses épidémies d’ampleur moindre que celle de Buitoni, mais tout aussi dévastatrices à l’échelle des victimes.

Vous avez créé AvocAlim, de quoi s’agit-il ?
En 2019, j’ai remporté le prix de l’innovation de la profession d’avocats en proposant la création d’un réseau d’avocats qui développerait une compétence pertinente dans le domaine de la sécurité alimentaire. J’ai donc créé ce réseau début 2021, et c’est un réel succès puisqu’il comprend à ce jour déjà presque une vingtaine de confrères qui se forment et échangent sur le domaine, dans un souci de perpétuelle amélioration de la compétence. Les besoins en la matière sont immenses, et il faut mieux faire, en apportant une dimension technique aux avocats pour qu’ils saisissent tous les enjeux du droit de la sécurité alimentaire. À ce titre, je suis donc ravie d’animer ce réseau.

Quels sont les enjeux aujourd’hui pour les professionnels de l’alimentation ?
Le Paquet Hygiène, ensemble de règlements européens entré en vigueur en 2006, a bouleversé la matière en responsabilisant les professionnels d’une part, mais en mettant en place des obligations de résultats permettant de faire de vrais choix stratégiques d’autre part. Il n’est plus possible d’ignorer cette dimension, et les opérateurs doivent avoir une démarche active sur le sujet. Le règlement UE n° 2021/382 du 3 mars 2021 impose aujourd’hui la mise en place d’une véritable culture de la sécurité alimentaire dans chaque entreprise qui intervient dans le domaine. Cela implique à la fois une démarche de formation bien plus active, mais aussi un management de la sécurité alimentaire qui soit réellement performant.

Y’a-t-il de plus en plus de contraintes/réglementations pour eux ?
Les contraintes sont importantes mais elles sont surtout mal connues ou mal comprises. Ce phénomène est aggravé par le fait que les opérateurs techniques vers lesquels les professionnels de l’alimentation ont l’habitude de se tourner ajoutent très souvent des contraintes supplémentaires à celles requises, soit parce qu’ils connaissent mal les textes, soit parce qu’ils en imposent leur interprétation. Cela conduit malheureusement à restreindre les choix qui existent pourtant pour les opérateurs, et à alourdir un système qui est déjà bien contraignant.

Que conseillez-vous aux entreprises pour faire face à cette réglementation ?
Il faut prendre la main sur les contraintes liées à la sécurité alimentaire, en se formant et en se faisant accompagner pour être en mesure de faire de vrais choix, que l’on saura argumenter en cas de besoin. C’est la meilleure façon de s’approprier le système qu’ils choisissent pour maîtriser le risque alimentaire, d’être à même de le maintenir sur le long terme, et ainsi de s’assurer la meilleure des protections.

« Il faut que les entreprises prennent la main sur les contraintes liées à la sécurité alimentaire, en se formant et en se faisant accompagner pour être en mesure de faire de vrais choix. »

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